La France est le pays d’Europe qui a connu la plus forte désindustrialisation. Entre 1970 et 2018 les branches industrielles ont perdu près de la moitié de leurs effectifs, soit 2,5 millions d’emplois, en raison de plusieurs vagues successives de désindustrialisation. Cette perte de vitesse de l’industrie manufacturière s’est évidemment fait ressentir dans l’économie puisqu’en 2019, elle représente moins de 13% de la richesse nationale produite contre 25% en 1970.
Depuis quelques années, et particulièrement depuis la crise du Covid-19 qui a remis en exergue l’importance de l’autonomie et de la résilience industrielle, nous commençons à voir un regain d’intérêt pour ce secteur qui est de nouveau vu comme stratégique, à juste titre. Un des signaux forts envoyé dans ce sens est le plan d’investissement gouvernemental France 2030 lancé en 2021 et doté de 54 milliards d’euros, qui a pour ambition de rattraper le retard de la France dans certains secteurs historiques et de développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir.
Le secteur du capital risque (VC) n’échappe pas à cette tendance. En 2022, on comptait en France 1900 PME et startups industrielles. Leur émergence et leur accélération sera sans aucun doute l’un des leviers cruciaux à activer pour réussir à relever le défi d’une réindustrialisation durable en France. Pour cela, il est aujourd’hui essentiel de structurer un écosystème VC adapté à leurs spécificités, et à même de les accompagner tout au long de leur développement, et ce, des phases de R&D et de prototypage jusqu’au passage à échelle et à la création d’usines.
Les startups et PME innovantes : une opportunité pour insuffler le renouveau industriel français
10 ans après la création de la Mission French Tech, il est indéniable que celle-ci a largement contribué à structurer l’écosystème des start-ups françaises, à faire émerger une scène VC solide et à donner à la France une place d’acteur crédible sur la scène tech internationale. Et si nous ne pouvons nier le dynamisme des startups française qui sont au nombre de 25 000, dont 29 licornes et qui ont de solides dynamiques de croissance, nous pouvons tout de même légitimement souligner la prépondérance d’acteurs similaires (startups numériques de services), qui se révèlent insuffisants à transformer les usages nécessaires à une transition écologique ambitieuse, et insuffisants à créer des solutions d’employabilité pérennes.
D’où l’intérêt d’accorder plus d’attention - et naturellement plus de financements - aux PME et startups innovantes dans les différents champs de l’industrie car elles représentent une énorme opportunité pour la compétitivité de l’industrie française et européenne et pour la dynamique de réindustrialisation des territoires. En effet, elles permettent la convergence de nombreux facteurs décisifs. Elles permettent d’abord de répondre à des besoins de consommation concrets dans tous les champs et d’imaginer les usages transformés : à quoi ressembleront le bâtiment, la mobilité, la santé de demain … autant de questions auxquelles elles tentent d’apporter des réponses innovantes. Elles répondent aussi à un enjeu d’autonomie et de résilience puisqu’elles permettent de faire émerger des innovations dans des domaines industriels stratégiques et de les garder en France. Elles ont aussi un rôle à jouer pour la dynamisation des territoires, lorsqu'on sait que contrairement aux startups du numérique qui se concentrent en Ile-de-France, près de deux tiers des start-up industrielles ont leur siège en dehors d'Ile-de-France, puisqu’elles doivent être proches des bassins industriels, eux-mêmes situés en régions. Enfin, particulièrement pourvoyeuses de main d'œuvre, elles représentent un potentiel pour des parcours d’employabilité et d’insertion de long-terme partout dans les territoires.
Quels sont les besoins des startups industrielles et comment s'y adapter ?
- Des temps de développement plus longs que pour les services et le numérique
L’une des principales caractéristiques d’un fonds d’investissement de VC classique est qu’il a une durée de vie limitée, généralement autour de 8 à 12 ans. A l’issue de cette période prédéterminée, il doit être capable de délivrer à ses différents investisseurs initiaux (Limited Partners ou LPs) le taux de rentabilité initialement promis. Pour cela, il constituera au fil de ses premières années (la période cible d’investissement est de 5 ans en VC) un portefeuille d’investissements aux niveaux de risques diversifiés et avec suffisamment de perspectives de sortie (ou rachat de ses parts) à court ou moyen-terme afin de récupérer son investissement initial ainsi qu’une plus-value.
Les parcours de financement et les véhicules existant aujourd’hui pour financer les startups ont été conçus et pensés pour celles du numérique et des services et se révèlent inadaptés pour les besoins des startups industrielles. Si dans le cas des premières (par exemple d’un logiciel SaaS), il est assez simple pour un fonds de se figurer le modèle économique, d’appréhender les coûts d’acquisition des clients, la récurrence d’utilisation du service ou encore de compter sur une croissance exponentielle des utilisateurs, cela s’avère beaucoup plus complexe dans le cas des startups industrielles, en partie parce que le temps qui sépare l'idée initiale des premières ventes sur le marché d’un produit fini, est souvent très long.
- Le besoin de capitaux patients et des véhicules de financement dédiés
Il faudrait encourager les fonds de VC à repenser leurs mix de produits financiers pour être capables de s'adapter à ce temps long et d’accompagner les startups industrielles lors des deux grandes phases distinctes de leur développement : aussi bien lors des stades de R&D lorsqu’il faut parier sur une équipe et sur un prototype et être dans une logique de fonds propres, que dans la seconde phase impliquant la construction d’un site industriel, l’acquisition de machines, le recrutement d’équipes adaptées et le lancement des premières lignes de production qui relève plus des logiques de fonds de Private Equity ou d’infrastructure.
- De multiples expertises à fédérer pour assurer le succès de ces entreprises
Au-delà des financements, les Start-ups industrielles ont également besoin d’expertises pour pouvoir être accompagnées techniquement dans leur activité, par exemple par le biais d’operating partners (ou associés exploitants en français, souvent des entrepreneurs aguerris auxquels les fonds d’investissement font appel pour conseiller les dirigeants des entreprises de leur portefeuille.) qui ont une bonne compréhension de leurs enjeux et qui puissent comprendre les divers sujets liés par exemple aux moules dans la chaîne de valeur industrielle, comment fonctionne une ligne de production ou encore qui puissent aider à conclure des contrats avec des grands groupes industriels. Malheureusement, il existe aujourd’hui un manque de culture industrielle au sein des sociétés de gestion où les équipes sont très réduites et où la majorité des personnes sont issues du monde de la finance et ne comprennent donc pas le langage ni les besoins propres à l’industrie.
Cependant, s'il est souhaitable que les investisseurs s'imprègnent davantage de culture industrielle et s'approprient des réseaux d'experts, les innovations développées sont parfois très pointues et issues de laboratoires de recherche (comme dans le cas des startups deeptech). La compréhension réelle de la technologie repose alors uniquement entre les mains d'une poignée de chercheurs. Pour que les idées se structurent en entreprises, de surcroît pour un passage à échelle industrielle avec un modèle économique viable, il est important que les équipes scientifiques s'associent avec des profils ayant une vision plus stratégique, financière et commerciale, capables de communiquer leur proposition de valeur auprès des clients et des investisseurs.
L'avis de LITA.co : pourquoi il faut aller plus loin
Si chez Lita, nous avons une vision forte à ce sujet, nous ne constituons qu’une brique parmi d’autres au sein d’un écosystème plus global que nous espérons voir se structurer au cours des prochains mois et prochaines années.
Le plan Startups et PME industrielles annoncé en janvier 2022 et porté par Bpifrance qui ambitionne de créer 100 nouveaux sites industriels par an d’ici 2025 est déjà un signal fort que nous saluons. Notamment, via la création du Fonds national de venture industriel, un fonds de fonds (fonds d'investissement qui investit dans d'autres fonds d'investissement.) doté de 350 millions d’euros qui a justement pour but de favoriser l’émergence et la structuration du marché des fonds de capital-risque à vocation industrielle à même d’accompagner en fonds propres et quasi fonds propres des entreprises françaises dans leurs projets industriels. Ou encore, avec le lancement du fonds SPI 2 doté d’un milliard d’euros pour financer directement la création de nouvelles activités industrielles en France et accompagner le passage à l’échelle industrielle et commerciale d’innovations développées par des entreprises de toutes tailles.
La Banque des Territoires joue également un rôle crucial, notamment avec une vision forte au sujet de l’économie circulaire, dans laquelle nous nous retrouvons particulièrement chez Lita.
C’est évidemment un bon début mais il faudrait aller encore plus loin pour que les termes de VC et d’industrie ne soient plus antinomiques. Aussi, au-delà de la question du financement, il va falloir s’atteler à deux questions tout aussi structurantes que sont l’accès au foncier et la formation aux métiers industriel.